Mis à jour le 20/02/2024 par Bistrot de Pays

Bistrots de Pays : la recette du succès

Chaque année en France, 1200 bistrots ferment le rideau. L'initiative Bistrot de Pays est née en 1993 pour soutenir ces cafés-restaurants multiservices indépendants à la campagne.

En France, près de 80% des communes rurales ne possèdent plus ni café ni restaurant. Pour enrayer ce phénomène, les Bistrots de Pays imaginent depuis trente ans des recettes innovantes. Leur modèle est fondé sur l’innovation perpétuelle, l’ancrage aux territoires, les circuits courts, la mise en réseau, l’animation et la multiactivité. Un peu partout en France, ces établissements, étendards de leur terroir, maintiennent la vie dans les villages. Reportage entre Alpes-de-Haute-Provence, Corrèze, Picardie et Hautes-Alpes. Par Axel Puig pour Village Magazine -printemps 2023.

Rideau ouvert

Sur le mur en briques du Nord, il y a un oiseau bleu cerclé de jaune, un trèfle tricolore, un ballon de rouge aux proportions géométriques et une ardoise qui annonce le menu du jour. À l’Auberge des Tilleuls, tout au long de l’année, on peut à la fois déguster un pigeonneau farci aux champignons, boire une bière locale et artisanale, dévorer un bouquin, miser sur le bon numéro, ou expédier un courrier. Depuis une dizaine d’années, l’établissement est le cœur névralgique de Heilles, village picard de 600 habitants, situé entre Creil et Beauvais (Oise). « Le bistrot est le dernier lieu où les gens peuvent se rencontrer. S’il baisse le rideau, ils n’ont plus qu’à rester devant leur télévision. Ils ne seront plus au courant de ce qu’il se passe dans leur village. Qui est hospitalisé, qui a besoin d’un coup de main ? Tout cela, on l’apprend au bistrot », lance Charles-Édouard Barbier à la faveur d’une pause entre le service du midi et celui du soir. À 22 ans à peine, après voir bourlingué entre Atlantique, Chine et Méditerranée, le chef a repris le dernier commerce encore en activité de son village. « En 2009, j’ai appris que le propriétaire voulait vendre. L’établissement était en quasi faillite. J’ai acheté le fonds pour montrer qu’on pouvait faire tourner un bistrot dans une commune de 600 habitants », poursuit-il. Treize ans plus tard, le pari est réussi. L’Auberge des Tilleuls régale les habitants d’Heilles et des alentours. La recette du succès : des services, des animations, des produits locaux dans les verres comme dans les assiettes. Autant d’éléments qui ont permis à l’établissement d’être labellisé Bistrot de Pays. « L’auberge est l’ambassadeur du territoire », résume Charles-Édouard Barbier qui a pris, en 2019, la présidence de la Fédération Nationale des Bistrots de Pays.

L’instit, le curé et le bistrotier

Les Bistrots de Pays sont nés voilà tout juste trente ans. Dans les années 1980, alors agent de développement local en Corrèze, Bernard Reynal imagine le concept comme un remède à la désertification des campagnes. « À cette époque, le monde rural était en plein déclin. Services publics et écoles fermaient. L’instit, le curé et le bistrotier étaient souvent les animateurs des villages. Comme je ne suis ni évêque, ni inspecteur de l’Éducation nationale, je me suis dit que le levier le plus simple pour maintenir de la vie était de sauver le bistrot », raconte l’ancien président de la Fédération depuis ses terres corréziennes. Son idée, révolutionnaire à l’époque, est de développer la multiactivité afin de « garder une porte toujours ouverte au village » et « de créer une chaîne de solidarité, un vrai réseau » pour accompagner les bistrotiers. Pendant dix ans, Bernard Reynal et son complice Henri Grelot, ancien de l’éphémère ministère du Temps libre, portent ce message auprès des maires, des ministères et des chambres consulaires. En 1993, il reçoit enfin un écho favorable en Provence où le syndicat intercommunal Forcalquier-Montagne de Lure (Alpes-de-Haute-Provence) s’empare du concept, avec le soutien de l’Europe (programme Leader), de l’État, de la région et du département. Le premier Bistrot de Pays ouvre à Lardiers, village d’une centaine d’habitants au pied de la lunaire montagne de Lure. Petit à petit, le réseau s’étoffe, d’abord entre Provence-Alpes-Côte d’Azur et Midi-Pyrénées, avant de s’étendre dans le Massif Central, en Rhône-Alpes, dans le Grand-Est ou dans les Hauts-de-France. Aujourd’hui, 120 bistrots composent le réseau. 28 ont obtenu leur label en 2022. Tous les établissements signent une charte qui traduit leur engagement pour la ruralité. Tout en conservant leur singularité et leur lien au terroir, ils sont des lieux de rencontres, de services, de fête et de découverte. « Ils doivent être pluriactifs, ouverts le plus longtemps possible répondre aux demandes de la population, proposer des animations, garantir un bon accueil et travailler en circuits courts. Le Bistrot de Pays, c’est le plat de résistance de la ruralité ! », scande Bernard Reynal.

Local et éthique

Chacun à leur manière, les établissements labellisés dépoussièrent le concept de bistrot. Ils sont des étendards d’une ruralité qui innove, crée du lien et s’inscrivent dans une économie circulaire. Le circuit court est une des clés de la réussite. Tout comme la volonté de s’éloigner d’une offre de plus en plus standardisée. Chaque enseigne représente son territoire et ses producteurs. « On ne mange pas la même chose dans un bistrot du Var ou de Picardie. Quand les gens poussent la porte, ils doivent découvrir le pays dans l’assiette », souligne Charles-Édouard Barbier qui a éradiqué les frites de sa carte.

Dans les Alpes-de-Haute-Provence, chez Lili Martignon et Jean-François Garcia, pas de frites non plus dans les assiettes. Le couple a repris le bistrot Cocotte, un lieu coquet où il fait bon s’attabler. Sur les murs, des poteries de Vallauris et des vinyles reposent sur des étagères en bois massif. Avant de s’installer en Provence, le couple tenait un restaurant de plage à Saint-Tropez : « 350 couverts par jour et 25 employés ». En quête de calme, ils ont posé valises et couteaux à Pierrerue. « Les gens savent qu’ici on mange bien et de façon éthique », lance la jeune femme dans un sourire. L’agneau, le cochon, les légumes, les volailles, les œufs… tous les produits cuisinés par Jean-François sont locaux et très souvent bio, ce qui ne l’empêche pas de servir un menu du midi à 18,50 €.

« S’approvisionner en circuits courts n’est pas toujours facile, nuance Charles-Édouard Barbier. Visiter une vingtaine ou une trentaine de producteurs prend du temps ! Il faut aussi gérer des ruptures de produits, des aléas climatiques et faire une trentaine de factures, ce qui coûte plus cher en comptabilité ! Cette question de l’approvisionnement a toujours fait partie du métier de restaurateur, mais on l’avait un peu oubliée avec l’avènement de l’agroalimentaire. »

« Quand les gens poussent la porte, ils doivent découvrir le pays dans l’assiette »

En Corrèze, depuis leur Auberge de Concèze, Vanessa et Cédric Le Page confirment. « Parfois, c’est compliqué de dégager du temps pour trouver de nouveaux producteurs », dit la jeune femme. « Certains producteurs rechignent à travailler avec les restaurateurs. Nous sommes peut-être plus exigeants que les particuliers », ajoute Cédric. Heureusement, certains viennent proposer leurs produits, comme La Ferme des Petites Bottes, installée à Beyssenac, village situé à 10 km de Concèze. « Ce n’est pas facile de s’installer comme maraîcher aujourd’hui, poursuit Vanessa. Même si certains produits sont plus chers, ils méritent qu’on les valorise. Nous avons décidé de ne pas le répercuter sur nos prix. C’est la condition pour redynamiser les campagnes. » Une éleveuse de chèvres leur a également proposé ses produits. « Elle vient parfois consommer ici car elle est heureuse de voir comment nous les avons travaillés. » Et pour l’ultra local, la partie café de l’auberge travaille avec Ambre Roche, une torréfactrice installée… à Concèze !

Lundi, c’est potager !

À l’autre bout de la France, dans la Somme, Guillaume Hermant a trouvé une solution radicale pour ses approvisionnements. Dans son restaurant de Conty, il cuisine essentiellement… ses propres légumes. « C’est le jardin qui guide la carte », s’amuse le chef. Et pour cause, Guillaume possède deux potagers, de 800 m2 chacun, dont quelques tunnels qui garantissent un approvisionnement toute l’année. « Le lundi, c’est potager ! Selon les saisons et le temps disponible, je cueille le matin et le soir. L’hiver, il y a des poireaux, des carottes, des choux, des panais. Le printemps : des radis, des asperges… Je cultive aussi des variétés anciennes oubliées, le plus naturellement possible », raconte le cuisinier, fils d’agriculteur. Ses potagers lui permettent de proposer un menu ouvrier à 14 €, avec « un buffet d’entrée pour écouler les légumes du jardin ».

Au travail, au bistrot !

Dans l’univers des Bistrots de Pays, il n’y a pas que la cuisine et les produits locaux. 

« Un bistrot, c’est aussi un lieu de vie où l’on peut travailler, faire la fête ou attendre ses parents au chaud », s’exclame Lydia Gauvin. Ancienne chargée de mission du Parc naturel régional du Queyras, Lydia a décidé, il y a une quinzaine d’années, de « passer de l’autre côté de la barrière ». Avec Catherine Sénéchal, elle a repris l’Auberge d’Eygliers, village des Hautes-Alpes situé au pied du col de l’Izoard. « Au départ, nous recherchions un endroit pour créer un tiers-lieu. Une étude avait mis en lumière que, dans le département, beaucoup de personnes étaient en télétravail. Finalement, nous avons racheté un hôtel, avec des chiffres qui ne correspondaient pas à la réalité. Le projet a évolué doucement. Nous avons surmonté beaucoup de difficultés », raconte Lydia depuis sa cuisine où le thermomètre peine à grimper en plein hiver. Les deux collègues sont aujourd’hui à la tête d’un établissement original, hybride, à la fois tiers-lieu, hôtel, restaurant et bar, moteur de la vie économique et sociale de la vallée. Deux grandes chambres transformées en bureaux sont occupées par un salarié d’Enercoop, une dessinatrice, une architecte ou un accompagnateur en moyenne montagne, avec en prime un accès à la terrasse sur le toit. « Les bureaux se louent au mois ou au trimestre. La tarification se fait à la fréquence. Nous proposons aussi un espace de coworking volant. On peut y rester quinze minutes ou plus. La participation est libre. » La nuit, l’Auberge d’Eygliers accueille même des gamers, tandis que des vacanciers y travaillent parfois quelques heures, profitant des trois box installées pour ne pas maltraiter la bande passante.

« Un bistrot, c’est un mini laboratoire de sociologie. Et la bistrotière est une entremetteuse »

« Ici, les gens se rencontrent, un endroit qui décloisonne les univers. Les touristes peuvent se mêler aux gens du pays ou rester dans leur monde. Au bistrot, des affaires se concluent, des spectacles se créent. Un bistrot, c’est un mini laboratoire de sociologie. Et la bistrotière est une entremetteuse », s’amuse Lydia. Cet esprit d’échange se retrouve jusqu’en cuisine. Après le coworking, l’auberge s’est en effet lancée dans le cocooking. L’équipe met à disposition de ceux qui se lancent dans les métiers de bouche, sa grande cuisine et ses équipements aux normes d’hygiène de l’agroalimentaire (HACCP). C’est Claire, « une biscuitière qui n’avait pas les moyens d’investir dans un four » qui a ouvert le bal. Puis il y a eu Sophie, restée un an et demi. « Quand elle créait des spéculoos, elles les faisaient goûter aux clients de l’auberge », se souvient Lydia.  

Le bistrot, c’est aussi la culture à la campagne

Conforme à l’idée première de Bernard Reynal, la réussite du bistrot dépend aussi de sa mise en réseau. C’est à cela qu’œuvre la Fédération, dont les bureaux sont installés à Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence). Avec divers partenaires, elle crée des animations qu’un établissement isolé ne pourrait porter. C’est le cas par exemple des Scènes de Bistrots, menées avec le concours d’Arsud, régie culturelle du sud de la France. Deux fois par an, au printemps et en automne, des compagnies de théâtre et des musiciens investissent les bistrots partenaires. « Le label nous donne accès à des groupes qu’on ne pourrait imaginer faire jouer dans des petits villages comme Pierrerue », témoigne Lili Martignon. Après une première participation l’an dernier, elle n’attend qu’une chose : la deuxième édition. « C’est un cadeau pour nos fidèles. En juin comme en septembre, la mairie ferme la rue à la circulation. On sort les tables et la cuisine. On mange avant 21 h 30 et après, tout le monde danse ! » Pour bénéficier de cette programmation, le bistrot paye 50 €. « On nourrit les artistes, parfois on les loge et c’est tout », précise Lili qui rêve désormais d’une séance de cinéma en plein air, un soir d’été, au pied de son Bistrot de Pays.

L’auberge… espagnole

Si la restauration et le bar assurent l’essentiel des revenus du bistrotier de pays, la très grande majorité propose divers services qui assurent des gains, modestes mais essentiels à la pérennité des établissements. À Pierrerue (Alpes-de-Haute-Provence), Lili Martignon et Jean-François Garcia préparent ainsi des plats cuisinés à emporter. À l’approche de Noël, ils vendent aussi, sur le marché de Forcalquier, des chocolats et des gâteaux. « Nous avons commencé pendant le covid, raconte Lili. L’activité de conserverie assure notre chiffre d’affaires de décembre, un mois où les gens vont moins au restaurant. Par contre, nous avons abandonné le dépôt de pain et la petite épicerie. Forcalquier est trop proche. On ne vendait presque rien. »

« La Française des jeux nous rapporte 400 € par an et nous touchons 5% du prix du timbre », ajoute de son côté Charles-Édouard Barbier, gérant de l’Auberge des Tilleuls, à Heilles. Selon une enquête réalisée en 2019, 27% des bistrots du réseau proposent de l’hébergement, 38% de l’épicerie, 33% un dépôt de pain et 70% la presse quotidienne régionale.

En réseau, mais libres

« Le label nous permet de jouir d’une certaine renommée et de mutualiser des animations ou des opérations de communication. C’est aussi un gage de qualité », avance Guillaume Hermant, labellisé en 2020 après le passage du client mystère.

Pour obtenir le sésame, les bistrots doivent faire acte de candidature auprès de la Fédération. Dans certains cas, ils peuvent aussi s'adresser à des relais locaux : chambre de commerce, agence touristique ou collectivité locale. Le label obtenu, ils conservent toute leur autonomie. Certains fonctionnent sous la forme de société ou de coopérative, d’autres sont des entreprises individuelles. La Fédération accompagne également ceux qui veulent se lancer dans la restauration ainsi que les collectivités locales désireuses de redynamiser leurs villages. Grâce à un soutien de l'Agence Nationale de Cohésion des Territoires (ANCT), la fédération étend petit à petit son réseau dans tous les départements. Ces trois dernières années, elle a reçu plus de 300 candidatures spontanées, dont des suggestions de clients. 

Bon pour l’économie

Un second, un serveur et trois apprentis. Dans l’Oise, l’Auberge des Tilleuls fait vivre trois foyers. « Nous permettons à trois jeunes de mettre le pied à l’étrier. C’est important dans une zone rurale où la mobilité est difficile. En tout une quarantaine d’apprentis venant de 8 km alentour sont passés ici », complète Charles-Édouard Barbier. Selon une étude menée en 2019 par la Fédération des Bistrots de Pays, 22% des établissements labellisés emploient de trois à quatre salariés et 16% plus de cinq. Plus généralement, une enquête menée par l’Umih (Union des métiers et de l'industrie hôteliere) et l’AMRF (Association des maires ruraux de France) révèle que le secteur café hôtel restaurant emploie un million d’actifs en milieu rural, pour un chiffre d’affaires de 80 milliards d’euros.

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